27 juin 2023

Lors de sa campagne présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé une nouvelle mesure dans l’arsenal pour combattre la consommation de drogues (illicites) dans notre pays, une amende forfaitaire délictuelle (AFD) à payer immédiatement lors d’un contrôle par la police d’une personne en possession de stupéfiants. Le 26 juin 2023, le président tire lui-même un bilan négatif de la mise en application de cette amende dans un entretien au journal La Provence[1] : « 350 000 [amendes] ont été dressées en France depuis septembre 2020, dont 29 000 à Marseille. Mais ce que nous avons constaté, c’est que comme le règlement se fait par télépaiement entre 45 jours et 60 jours, nous avons un taux de recouvrement de 35 % ».

Dès l’origine, et indépendamment de l’analyse de sa pertinence, nous avions relevé les difficultés de mise en œuvre de cette amende forfaitaire[2] qui était censée répondre à un double objectif : sanctionner davantage les consommateurs et alléger la charge de travail des forces de l’ordre et des juges.

Il est aujourd’hui possible, sur la base des chiffres fournis par le Président de la République, d’en tirer un premier bilan. Avant l’instauration de l’amende forfaitaire, les constats d’infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) s’élevaient à environ 180 000 par an, soit 15 000 infractions relevées par mois. Le Président annonce 350 000 amendes forfaitaire depuis septembre 2020. Cela représente, sur les 33 mois de mise en œuvre, 10 600 amendes forfaitaires notifiées par mois, soit une baisse de 30 % par rapport aux ILS. Et le président note que seulement 35 % des amendes notifiées font l’objet d’un recouvrement (donc environ 3 700 par mois).

La comparaison avec les chiffres de consommation de produits illicites donne la mesure de l’échec : des millions de consommateurs occasionnels ou réguliers d’un côté[3], mais seulement 3700 sanctions effectives de l’autre. Or pour qu’une mesure répressive soit efficace, il faut qu’elle réunisse plusieurs conditions :

  • La probabilité d’être sanctionné en cas d’infraction doit être élevée. Or la probabilité pour un usager de se voir notifier une amende forfaitaire est très faible.
  • La sanction doit être effective. Ce n’est pas le cas puisque les 2/3 des personnes qui reçoivent une amende ne la paye pas.
  • Le niveau de sanction doit être dissuasif. Or on ne peut évaluer le niveau dissuasif du montant de cette amende forfaitaire dans la mesure où elle est rare par rapport au nombre réel des infractions, et peu effective

Il est toujours difficile pour un responsable politique de reconnaitre ses erreurs. Et Emmanuel Macron attribue l’échec non pas à la mesure elle-même mais a des problèmes techniques ou d’organisation. Il propose pour y remédier la possibilité de faire encaisser l’amende directement par des policiers équipés d’un terminal de carte bancaire. Les policiers ont réagi avec un scepticisme certain[4]. Il est en effet probable que les personnes en infraction testeront quelques parades (« oubli » du code, ne pas avoir sa carte quand on a des produits sur soi…) qui entraveront le travail des policiers. Mais fondamentalement, l’utilisation de la carte bancaire ne répondra pas à la principale difficulté rencontrée qui est la faible probabilité d’être sanctionné en cas de possession de produit illicite.

Il serait temps de reconnaitre que la politique essentiellement répressive envers les stupéfiants n’a pas de résultats probants, ni sur les consommations ni sur les trafics. Les chiffres de saisies publiés régulièrement démontrent l’activité des services, mais ne renseignent que très indirectement sur les volumes de drogues en circulation.

Le Gouvernement doit aussi cesser de diaboliser des consommateurs en en faisant des délinquants de haut vol. Une approche pragmatique doit au contraire être privilégiée en supprimant, d’une part, les sanctions pénales pour la simple consommation de drogues afin d’alléger véritablement la charge de travail des forces de l’ordre et, d’autre part, en développant une réelle politique de prévention auprès des jeunes et des personnes les plus vulnérables.

Dans cet objectif, Addictions France soutient la pétition lancée par le Collectif pour une Nouvelle Politique des Drogues (CNPD) visant à recueillir 100 000 signatures et permettre l’organisation d’un débat à l’Assemblée nationale : signer la pétition.

 


[1] https://www.laprovence.com/article/faits-divers-justice/4777881432241415/info-la-provence-amendes-pour-la-cannabis-les-contrevenants-devront-payer-immediatement-en-liquide-ou-carte-bleue-annonce-macron

[2] https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2021/03/Decryptages-N-28-Contraventionnalisation-de-lusage-des-drogues-illicites-2021.pdf

[3] https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/DACC-2022.pdf

[4] https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cannabis/amendes-pour-consommation-de-cannabis-payees-en-carte-bancaire-ou-liquide-on-va-se-transformer-en-agent-de-recouvrement-du-tresor-public-denonce-un-syndicat-de-police_5911826.html

 

 

Bernard Basset
Médecin spécialiste en santé publique
Président d’Addictions France