La publication des nouveaux repères canadiens pour la consommation d’alcool à faible risque a fait les gros titres de la presse même en France. En effet, après une revue de la littérature scientifique et une modélisation mathématique sur les risques, les experts canadiens aboutissent à la même conclusion que les experts mandatés en 2017 par Santé publique France et l’INCa : « On sait maintenant que même en petite quantité, l’alcool n’est pas bon pour la santé« [1].

Dans une interview au Courrier des Addictions[2], Catherine Paradis, directrice associée intérimaire au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, reprend le concept de continuum de risque avec la définition de nouveaux repères de consommation à moindre risque pour le Canada, soit 6 verres standard canadiens par semaine (soit 8 verres standard français, car les verres canadiens ont une plus forte contenance) au-delà desquels les risques pour la santé croissent de manière exponentielle. Dans leur rapport, les experts canadiens indiquent également que « Consommer plus de 2 verres standards [2,7 verres français] par occasion est associé à un risque accru de méfaits pour soi et les autres, comme les blessures et les actes de violence ». Ils se prononcent pour un étiquetage des boissons alcoolisées indiquant le nombre de verres par contenant, la mise en garde sur les risques et la valeur nutritive (des recommandations aussi réclamées par Addictions France).

Les Canadiens suivent ainsi la tendance générale et mondiale en matière de prévention et de réduction des risques, à savoir de boire le moins possible d’alcool (« Boire moins, c’est mieux ») compte tenu des risques établis sur le plan scientifique.

Mais ces nouvelles recommandations font une victime collatérale au Québec, Educ’Alcool. Nous avons souligné de longue date[3], le caractère très ambigu de ce programme qui prône l’éducation au goût comme méthode de prévention, sur la base du postulat, jamais démontré, qu’une éducation à « bien boire » dans le jeune âge préviendrait les excès et les dommages à l’âge adulte. Pour le lobby alcoolier, ce postulat est utile : il met l’accent, et la responsabilité, sur le parcours individuel d’une personne qui, selon qu’elle est bien ou mal accompagnée par ses parents dans l’enfance, aura un destin plus ou moins favorable par rapport à la consommation d’un produit addictif. Plus l’individu est responsable de ce qui lui arrive, plus la responsabilité de l’alcool et de ceux qui le fabriquent, le promeuvent et le vendent, est faible.

L’éducation au goût, soutenue fortement par le lobby viti-vinicole en France et par les brasseurs au Québec, présente un autre intérêt évident : elle banalise la consommation d’alcool et occulte les risques. Educ’Alcool, comme Vin & Société en France, prône pour les adultes la modération, ce concept vague qui permet de se donner bonne conscience, mais certainement pas de prévenir les risques. Nous avions souligné en 2016 que le slogan d’Educ’Alcool ( « La santé a un bien meilleur goût« ) était certes bien connu des Québécois, mais les bénéfices pour la santé publique n’en avaient jamais été évalués.

Pourtant, l’aura de santé publique du Québec permettait au lobby alcoolier français de valoriser l’éducation au goût et la modération. C’est ainsi que les viticulteurs organisent pour les plus jeunes des voyages scolaires et des ateliers de découverte de l’univers du vin[4]. Récemment, les dirigeants d’Educ’Alcool étaient conviés à la Cité internationale du vin de Bordeaux à des « Rencontres Vin et Santé » pour contrer l’opération de mobilisation sociale du Défi de Janvier (version française du dry january anglais) portées par un large collectif associatif d’acteurs de santé.

Dans un communiqué[5], Educ’Alcool « prend acte » des nouveaux repères canadiens, une expression diplomatique pour signifier qu’elle s’y résigne. Mais c’est toute une stratégie, compatible avec la promotion de l’alcool, qui prend l’eau. La « modération », censée protéger des excès, ne protège plus les alcooliers de la vérité scientifique. Elle perd toujours davantage de sa crédibilité au fur et à mesure que les autorités sanitaires font prévaloir une politique de prévention fondée sur les preuves scientifiques du caractère nocif de l’alcool dès le premier verre.

 

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[1] https://ccsa.ca/sites/default/files/2023-01/CCSA_Canada_Guidance_on_Alcohol_and_Health_Final_Report_fr_0.pdf

[2] Le Courrier des Addictions • Vol. XXV – n° 1 – janvier-février-mars 2023

[3] Dans la réalité, l’éducation au goût permet de légitimer de manière implicite la consommation d’alcool pendant la période principale où l’on reçoit l’éducation, c’est-à-dire celles de l’enfance et de l’adolescence, ce qui laisse évidemment des traces à l’âge adulte. Voir aussi : https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2022/03/Decryptages-N-12-Education-au-gout-2022.pdf

[4] https://www.rdvdanslesvignes.com/jeune-public/

[5] https://www.educalcool.qc.ca/medias/communiques/evolution-des-connaissances-et-actualisation-des-messages-de-prevention/

 

 

Bernard Basset
Médecin spécialiste en santé publique
Président d’Addictions France