Depuis des années, Addictions France n’a eu de cesse de remettre en cause les prétentions de l’organisation québécoise Educ’Alcool à faire de la prévention[1], en raison des informations discutables qu’elle diffusait sur une consommation « modérée » d’alcool, mais aussi en raison de ses liens avérés avec l’industrie de l’alcool au Québec. Cependant, cet organisme a longtemps bénéficié d’une certaine indulgence en France, car le Québec est porteur d’une bonne image en termes de santé publique.


La réputation du Québec sur ce champ et l’entregent du fondateur d’Educ’Alcool, Hubert Sacy, lui a permis de trouver des relais en France, même si le discours sur la prévention relevait davantage du postulat que de la démonstration scientifique. Par ailleurs, la promotion de la « modération », notion floue, imprécise et par là-même consensuelle ne pouvait que recevoir l’onction du lobby alcoolier, aussi bien ici que là-bas. Les dernières apparitions d’Hubert Sacy en France ont été très contestables puisqu’il a servi de caution, avec d’autres, à l’offensive des alcooliers français contre le Défi de Janvier en 2020 et 2021[2] à la Cité internationale du Vin de Bordeaux.


Mais le vent tourne, et le grand quotidien de Montréal, Le Devoir, a publié le 10 octobre une enquête dévastatrice sous le titre « Éduc’alcool nous informe mal sur… l’alcool« [3]. Les journalistes, Améli Pineda et Stéphanie Vallet, recensent les contre-vérités sur les prétendus effets « bénéfiques » de la consommation modérée d’alcool : « L’alcool permettrait de réduire les risques rhumatoïdes ou de rhumatismes chez les femmes, d’arthrite, de pierres aux reins, d’infections ainsi que de simples grippes… Est aussi incluse l’hypothèse voulant que l’alcool puisse être associé à une augmentation de la densité minérale des os. Une autre étude avance que les buveurs modérés auraient environ 30 % moins de chances que les abstinents de développer du diabète. On peut également lire qu’« une consommation modérée et régulière d’alcool favorise la relaxation, réduit le stress et améliore l’humeur et la sociabilité« . Ces informations sont totalement erronées et la communauté scientifique s’accorde aujourd’hui sur le fait que toute consommation d’alcool est à risque, dès le premier verre, même si le risque s’accroit avec le volume et la fréquence des consommations.


Au nom de ces « bénéfices », Educ’Alcool peut proclamer dans un message totalement ambigu que « S’il y a une chose dont on peut abuser, c’est la modération« , qu’on peut naturellement comprendre comme une incitation à boire car la « modération » éliminerait les risques. Ces allégations fausses ne sont pas surprenantes quand on connait les liens d’Educ’Alcool avec le secteur économique de l’alcool.


Mark Petticrew, professeur d’évaluation des politiques de santé publique à la London School of Hygiene & Tropical Medicine et spécialiste de l’analyse des stratégies de lobbying de l’industrie de l’alcool et du tabac, a qualifié le site Web d’Éduc’alcool comme « un des pires au monde en matière de désinformation » dans une étude britannique de 2017 dont le titre en français se traduit par « Comment les organisations de l’industrie de l’alcool trompent le public au sujet de l’alcool et du cancer« [4].


Interviewé par Le Devoir, Mark Petticrew considère que la littérature d’Educ’Alcool relève de la « pseudo-science ». La professeure Louise Nadeau, qui a présidé le conseil d’administration d’Éduc’Alcool de 2007 à 2019, a récemment démissionné de son conseil scientifique estimant que sa crédibilité a été utilisée. Cependant, ses scrupules sont bien tardifs car en 2009, elle signait avec Hubert Sacy une défense sans nuances d’Educ’Alcool face aux conclusions défavorables de l’Institut National [français] du Cancer[5]. Elle ne pouvait pourtant pas ignorer les relations étroites entre les alcooliers et l’organisme qu’elle présidait, notamment au sein de son conseil d’administration.


Le Devoir souligne les services rendus par Educ’Alcool au lobby alcoolier au point que Claude Marier, qui était à l’époque vice-président de la Société des alcools du Québec (SAQ), déclarait en toute franchise en 1990 qu' »En démystifiant l’alcool, en déculpabilisant le consommateur, en prônant l’équilibre, Éduc’alcool assure la survie du commerce des boissons alcoolisées« [6]. Le financement d’Educ’Alcool a longtemps été assez opaque mais les journalistes du Devoir estiment que c’est entre 2,5 millions à 3,6 millions de dollars canadiens (1,6 à 2,4 millions d’euros) qui sont remis chaque année par les pouvoirs publics à l’organisme depuis sa création. A la suite de cette enquête, les opposants au gouvernement demandent la fin des financements publics à Educ’Alcool.


Il est surprenant que cet appendice des alcooliers au Québec ait pu prospérer aussi longtemps à une époque où les liens d’intérêts sont particulièrement scrutés. Addictions France a dénoncé dès 2016 l’indulgence dont Educ’Alcool bénéficiait même en France, suscitant les foudres d’Hubert Sacy. Il est temps d’en finir aujourd’hui avec cette imposture et de considérer Educ’Alcool pour ce qu’il est réellement : un prête-nom des alcooliers qui sert avant tout leurs intérêts.
 


[1] «EDUCATION AU GOÛT» ET EDUC’ALCOOL : Les miroirs aux alouettes du lobby de l’alcool, mars 2016. https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2022/03/Decryptages-N-12-Education-au-gout-2022.pdf
[2] https://www.snelac.com/post/2%C3%A8me-rencontre-vin-et-sant%C3%A9-%C3%A0-la-cit%C3%A9-du-vin-le-samedi-30-janvier-de-10-%C3%A0-17-heures
[3] https://www.ledevoir.com/societe/sante/821437/educalcool-informations-alcool?utm_source=recirculation&utm_medium=hyperlien&utm_campaign=corps_texte
[4] How alcohol industry organisations mislead the public about alcohol and cancer, Mark Petticrew, Nason Maani Hessari, Cécile Knai, Elisabete Weiderpass, Drug and alcohol review, septembre 2017
[5] « Un diktat contre l’alcool », lettre ouverte signée Louise Nadeau et Hubert Sacy, La Presse du 8 mars 2009
[6] « Prôner la modération sert bien les intérêts de l’industrie des alcools », La Presse, article du 22 novembre 1990


 
 
Bernard Basset,
Président