Le Parlement a tranché : les publications d’influenceurs qui font de l’alcool un produit à consommer en toutes occasions vont continuer de proliférer sur les réseaux sociaux. Les arguments économiques mis en avant par les alcooliers ont relégué au second plan les enjeux de santé publique.

 

Les marques d’alcool profitent de l’inconstance de Bercy et du Parlement

A l’issue d’un accord en commission mixte paritaire, la « proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » a été définitivement adoptée le 1er juin au Parlement.

Cette loi a le mérite de définir l’activité d’influenceur, de réglementer les contrats avec les annonceurs et d’interdire certaines pratiques contestables. C’était d’ailleurs l’objectif affiché par le Gouvernement et les rapporteurs du texte : il s’agissait d’en finir avec certaines pratiques abusives, source de polémiques abondamment dénoncées sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Force est de constater que pour l’alcool, on reste dans le deux poids deux mesures. Aujourd’hui, des milliers de contenus fleurissent sur les comptes des influenceurs qui valorisent la consommation d’alcool dans des visuels à l’esthétique travaillée ou sur des vidéos potaches, des formats qui avaient disparu depuis 30 ans. Mais la consommation d’alcool étant une norme sociale valorisée, point de scandale, même si les publicités pour l’alcool sur les réseaux sociaux incitent les jeunes à boire davantage.

Les inquiétudes de certains parlementaires n’auront pas suffi. Ni Bercy ni la majorité des parlementaires n’ont voulu prendre la mesure de ces pratiques et de leurs conséquences en matière de santé publique. Les réseaux sociaux resteront donc un Far West pour ce qui concerne la publicité pour de l’alcool.

 

Un « pas plus, pas moins » bénéfique aux lobbies de l’alcool

Cette occasion manquée n’est malheureusement pas une première : dès que l’on touche à l’alcool, une mécanique bien huilée se met en place, actionnée par des industriels soucieux avant tout de préserver leurs intérêts.

Un des co-rapporteurs de la proposition de loi, préoccupé par les questions de santé publique, a d’ailleurs eu le courage d’indiquer que des parlementaires ont menacé de porter atteinte à l’ensemble de la proposition de loi si l’encadrement des publicités pour l’alcool évoluait[1].

Pour justifier l’immobilisme sur l’alcool, un nouvel argument s’est fait jour : le « pas plus, pas moins ». Concrètement, la proposition de loi ne devait pas appliquer aux influenceurs un cadre de régulation ni plus ni moins contraignant que pour les autres supports de communication (TV, radio…).

Pourtant, la loi s’est faite plus restrictive pour les actes de chirurgie esthétique ou les jeux d’argent, au regard des risques induits par leur valorisation auprès des plus jeunes. Agir aussi sur l’alcool relevait du bon sens : alors que les plateformes (Instagram, TikTok…) devront mettre en place un dispositif qui rendra invisibles aux mineurs les publicités d’influenceurs sur les jeux d’argent et de hasard, la même proposition pour l’alcool a été rejetée.

Autre exemple de l’emprise du lobby de l’alcool sur le Parlement : les sénateurs se sont vigoureusement opposés à un amendement proposant d’apposer le message « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » sur les contenus des influenceurs, message pourtant visible sur les publicités dans les magazines et les panneaux publicitaires. Argument entendu au Palais du Luxembourg pour justifier ce refus : cette mesure porterait « gravement atteinte à la filière des vins et spiritueux ».

Dès lors, nous ne sommes plus sur du « pas plus, pas moins », mais sur une exception offerte aux influenceurs, un véritable cadeau : la possibilité de masquer les risques liés à l’alcool.

 

Un débat à poursuivre, loin de l’influence des lobbies

Addictions France déplore que l’ambition initiale de ce texte ait été atténuée par un jeu politique qui a permis à l’industrie de l’alcool de ressortir gagnante : en 2023, la frontière entre « célébrité » et « influenceur » a beau se brouiller, la publicité pour de l’alcool est interdite pour l’une, mais tolérée pour l’autre.

La loi Evin, qui réglemente la publicité pour l’alcool et le tabac, vise pourtant à protéger les jeunes de la surexposition à la publicité pour ces produits à risque pour la santé : il est temps de la sécuriser à l’ère du marketing d’influence.

Au regard des préoccupations croissantes des citoyens en matière de santé, de climat ou de nutrition, il est nécessaire d’ouvrir une réflexion politique plus globale sur la publicité et des conséquences sur les consommations et les risques pour la santé.

[1] Un thread Twitter du député a expliqué en détail le processus

 

 

Myriam Savy
Directrice du Plaidoyer à Addictions France

 

 

 

Indra Seebarun
Chargée de mission Plaidoyer à Addictions France