Euro 2024, le matraquage publicitaire des opérateurs de jeux
Paris, le 4 juillet 2024
Avec le démarrage de l’Euro 2024 il y a deux semaines, une période charnière pour les opérateurs de jeux s’est ouverte. Selon une étude Harris interactive[1], plus de la moitié des Français vont suivre la compétition et parmi ceux-ci, plus d’un tiers a l’intention de parier. Le milliard d’euros de mises pourrait être atteint. A titre de comparaison, la Coupe du monde 2022 avait enregistré 900 millions d’euros de mises.
Pour s’assurer une bonne hausse de leur chiffre d’affaires, les opérateurs de jeux ont annoncé en décembre dernier une intensification de leur stratégie marketing pour 2024 avec des investissements colossaux de 670 millions d’euros.
Leur ambition ? Conquérir de nouveaux joueurs et capter ceux de la concurrence.
Pour ce faire, 46% des investissements seront dirigés vers le numérique, notamment les réseaux sociaux qui se révèlent être un terrain de choix pour les partenariats avec les influenceurs, bénéficiant d’une audience très jeune.
Parallèlement, l’espace public est saturé de publicités. Métros, bus, affichages lumineux interactifs : les publicités pour les paris sportifs ont envahi notre environnement quotidien depuis plusieurs semaines.
Des messages publicitaires encore trop problématiques : l’exemple de Winamax
A titre d’exemple, Winamax a lancé une campagne d’affichage à l’échelle nationale, avec 30 visuels spécifiques à chaque région pour illustrer la répartition des 4,6 milliards d’euros de gains distribués par l’opérateur en 2023.
Les symboles populaires nationaux et régionaux, tels que la coiffe bigoudène, le joueur de rugby toulousain, la Joconde et Louis XVI, exploitent le sentiment d’appartenance régionale.
À côté des portraits célèbres, on trouve des montants de gains impressionnants, comme : « Ici en Île-de-France, 1 148 955 657 € ont été gagnés en 2023 sur Winamax ». Cependant, ces sommes exorbitantes omettent un détail crucial : il s’agit de gains bruts, ne tenant pas compte des mises des joueurs.
Car pour que certains gagnent, d’autres doivent perdre.
« Moins de 1 joueur sur 5 ont eu un bilan positif en 2021 »
L’Autorité nationale des jeux (ANJ) rappelle que moins de 1 joueur sur 5 ont eu un bilan positif en 2021. Seul 0.04% de l’ensemble des parieurs sportifs ont gagné une somme supérieure à 10 000€. La moitié des joueurs en ligne perdent plus de 40€ par an.
En mettant en avant des gains importants et en utilisant des codes issus de la pop culture, Winamax cible sans hésitation un public facile et réactif : les jeunes, qui sont pourtant 6 fois plus susceptibles de développer une addiction.
Une multiplication des contenus dédiés aux paris sportifs sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux sont également le canal privilégié des opérateurs de jeux pour promouvoir les paris sportifs. Alors que 72 % des parieurs ont moins de 34 ans, les influenceurs, avec leurs jeunes communautés, sont notamment mis à contribution.
Depuis quelques semaines, Addictions France, dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds de Lutte contre les Addictions, a observé une augmentation des contenus liés aux paris sportifs sur les réseaux sociaux. Publicités interstitielles, mèmes, contenus humoristiques, story d’influenceurs de la téléréalité et publicités associant paris sportifs et réussite sociale : tous les codes sont exploités pour maximiser la portée de ces publicités.
Ce que propose Addictions France
Actuellement, l’ANJ contrôle les publicités avant leur diffusion, mais elle ne peut retirer les publicités illégales qu’après leur diffusion. Le système d’auto-régulation en vigueur n’est pas assez strict. Par exemple, les publicités de Winamax ne respectent pas les directives[2] de l’ANJ, qui stipulent que les publicités ne doivent pas exagérer les chances de gagner ou minimiser les risques du jeu.
Face à ces dérives et devant l’avalanche de publicités, nous appelons à une prise de conscience collective et à une régulation plus rigoureuse pour protéger les joueurs et réduire les risques associés aux jeux d’argent. Il s’agit d’adopter une « loi Evin pour les jeux d’argent et de hasard » qui permettrait notamment :
- Interdire la diffusion de ces publicités dans les médias que les mineurs sont amenés à consommer régulièrement (la télévision, la radio, les réseaux sociaux)
- Interdire tout affichage aux alentours des établissements scolaires, universitaires et sportifs
- Encadrer strictement les offres promotionnelles
- Définir le contenu des publicités et supprimer les messages purement subjectifs (liés au plaisir unique de jouer, à la fête, aux dons issus des gains…)
[1] Les Français et les paris sportifs dans la perspective de l’Euro 2024, Harris Interactive pour l’ANJ (mai 2024)
[2] Lignes directrices relatives aux contenus des communications commerciales des opérateurs de jeux d’argent et de hasard, communication n°2022-C-001 du 17 février 2022