Avec quelques décennies d’écart, le lobby de l’alcool affronte le même problème que celui du tabac. En effet, inexorablement la science s’impose et les effets nocifs de l’alcool, comme ceux des cigarettes, ne peuvent plus être dissimulés. Madame Verdier-Jouclas[1], qui co-préside à l’Assemblée nationale le Groupe d’études vigne et vin, s’en horrifie. Pour cette ardente défenseure du lobby du vin, elle-même viticultrice, la dernière attaque vient de son propre camp au Parlement européen en la personne de Véronique Trillet-Lenoir, rapporteure de la commission spéciale sur la lutte contre le cancer (Beating cancer committee ou BECA).  

Madame Trillet-Lenoir, professeur en cancérologie, n’a pourtant fait que reproduire la conclusion de toutes les études scientifiques sur le sujet : toute consommation d’alcool (y compris de vin), même à faible dose, accroit le risque de survenue de cancer. Mais cette évidence scientifique est d’autant plus insupportable pour Madame Verdier-Jouclas qu’elle est énoncée par une collègue de son parti en pleine Présidence française de l’Union européenne.

 

« Cacher la vérité est l’arme ultime du lobby viti-vinicole »

 

Désemparée, elle réaffirme des assertions fausses auxquelles plus personne ne croit (le vin serait bon pour la santé, seuls les gros buveurs prendraient des risques…). Elle en appelle carrément à la censure de l’information qui fâche afin qu’on ne dise pas que le premier verre est nocif. Cacher la vérité est l’arme ultime du lobby viti-vinicole, pourtant bien peu compatible avec la démocratie et l’information honnête et transparente des consommateurs.

Au niveau européen, le Comité Européen des Entreprises des Vins (CEEV) s’est lui-aussi insurgé[2] contre ce rapport de la commission BECA en affirmant, contre toute évidence scientifique, « qu’une consommation modérée de vin, dans le cadre d’un mode de vie sain, est associée à des résultats positifs pour la santé« .

Le lobby alcoolier, et en particulier celui du vin, paye une stratégie erronée, calquée sur celle de l’industrie du tabac, aujourd’hui totalement décrédibilisée pour ses mensonges et ses pratiques malhonnêtes. Les cigarettiers ont longtemps mobilisé des moyens considérables pour occulter les effets nocifs du tabac : ils ont publié de fausses études, corrompu des scientifiques et des gouvernants… MAIS la science a fini par s’imposer et les cigarettiers ont alors perdu toute légitimité pour s’exprimer sur la santé. Une convention internationale (Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac ou CCLAT[3]) leur interdit même tout rôle en la matière.

 

« A long-terme, on perd toujours à batailler contre la science »

 

Le lobby alcoolier est à cette croisée des chemins où il peut continuer son déni vers une impasse encore plus dommageable, ou bien accepter les données de la science et vivre avec. Le destin de l’industrie du tabac devrait l’inspirer car, à long terme, on perd toujours à batailler contre la science.

Plus profondément, Madame Verdier-Jouclas n’a pas compris que nous avions changé d’époque. Nostalgique d’un passé idéalisé, fait d’ignorance quant aux conséquences de la consommation d’alcool, elle ne perçoit pas la montée des préoccupations de santé au sein de la population, la défiance envers une viticulture productiviste qui arrose indifféremment les vignes et les riverains de pesticides et une demande d’information fiable des consommateurs. Le temps des fariboles à coup de french paradox[4] d’introuvable courbe en J ou de molécules magiques (resvératrol, anti-oxydants…) est révolu, plus personne n’y croit. Le succès aussi important que surprenant du Défi de Janvier devrait la faire réfléchir, et son lobby avec elle.

L’alcool est désormais perçu, à juste titre, comme un produit à risque pour la santé et en particulier à risque de cancer, et non plus seulement comme un produit plaisir. Même si rien n’est encore acquis, on doit se féliciter que le Parlement européen propose des mesures adaptées contre les produits de consommation cancérigènes en se mobilisant contre le cancer sur des bases indiscutables, loin des pressions et des groupes d’intérêts. Espérons que les parlementaires seront assez nombreux pour suivre cet élan lors du vote définitif de ce rapport le 16 février !

[For the English version of « Science is catching up with the alcohol lobby ! That’s awful ! » please click here]

 

 

Docteur Bernard Basset
Président d’Addictions France

 

 

 

Références :

[1] Alexandre Abellan, « Qui voudra soutenir demain une filière vin jugée nocive ?« , Vitisphère, 03/02/2022

[2] Comité européen des entreprises vin, « CEEV is puzzled by the outcome of BECA Committee vote on report “Strengthening Europe in the fight against cancer”, 12/21

[3] Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac

[4] Addictions France, FRENCH PARADOX : Histoire d’un conte à boire debout, Décryptages n°36, 2019


Pour aller plus loin

Addictions France, FRENCH PARADOX : Histoire d’un conte à boire debout, Décryptages n°36, 2019

Addictions France, Alcool : Désinformation et fausses allégations, Décryptages n°13, 2016