Alcool, tabac, sucre : deux poids, deux mesures

Certains produits font l’objet de taxes spécifiques en raison de leur dangerosité pour la santé : les boissons sucrées (sodas, jus…), le tabac et l’alcool. Ces taxes font partie du prix final de vente. Actuellement, les taxes sur les boissons sucrées sont indexées sur l’inflation. Le Gouvernement vient d’annoncer l’indexation des taxes sur le tabac pour « éviter toute baisse des prix réels des produits du tabac, qui pourrait conduire à une hausse de la consommation ». Dans les deux cas, la logique est la même : si le prix de tous les produits de consommation courante augmentent, le prix de ces produits néfastes pour la santé doit augmenter au même rythme. Or cette logique ne s’étend pas à l’alcool : les taxes sur les boissons alcooliques sont bloquées par les pouvoirs publics et ne suivent pas l’inflation. C’est l’illustration du « deux poids, deux mesures » en santé.

« Ce serait assez paradoxal que la hausse des cigarettes soit moins élevée que l’inflation » Elisabeth Borne

Lors de son annonce, la Première ministre Elisabeth Borne justifie sa mesure au nom de la lutte contre le tabagisme. Ainsi sur BFM-TV le 26 septembre, elle déclare :

« Ce serait assez paradoxal que la hausse des cigarettes soit moins élevée que l’inflation, ça veut dire que le prix baisserait relativement. Compte tenu de l’impact du tabac sur la santé, je pense que ça serait peu compréhensible et donc on a prévu d’indexer le prix du paquet de cigarettes sur l’inflation. »

C’est une mesure minimale que le Gouvernement propose donc d’inscrire dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Elle aura pour effet de maintenir un prix des cigarettes dissuasif pour les jeunes, alors qu’un prix fixe aurait abouti à une baisse du prix des cigarettes dans le contexte inflationniste actuel. Mais il convient de rappeler que seule une hausse périodique et forte du prix du tabac permet d’avoir des effets sur le niveau de consommation. Le simple maintien du prix du tabac (par ajustement sur l’inflation) n’est pas une mesure qui traduit une volonté politique, mais un statu quo. On ne saurait s’en satisfaire face à un produit qui génère 120 milliards d’euros de coût social annuel.

« Éviter que la consommation d’alcool n’augmente par un effet d’aubaine »

Mais l’argumentation du Gouvernement est intéressante si on la met en miroir avec son inaction sur le prix de l’alcool. Si on suit la logique imparable de la Première ministre en l’appliquant à la deuxième cause de mortalité évitable qu’est l’alcool, le prix de l’alcool ne devrait pas baisser en comparaison avec les produits de consommation courante, notamment vis-à-vis des jeunes qui sont sensibles aux prix des produits. Pourtant, aujourd’hui, les taxes sur l’alcool sont bloquées par la loi : elles n’augmentent quasiment pas (1). Dès lors, le prix de l’alcool ne peut augmenter au même rythme que les autres produits, et les conséquences sont d’ordre sanitaire.


Rappelons-le, l’alcool n’est pas un produit de première nécessité. Une indexation des taxes sur l’inflation doit permettre d’éviter que la consommation d’alcool n’augmente dans les ménages par un effet d’aubaine (le prix étant devenu plus avantageux) et doit au contraire inciter, dans une certaine mesure, à diminuer sa consommation d’alcool lorsque celle-ci est excessive.

« L’influence d’un lobby de l’alcool préoccupé uniquement par son chiffre d’affaires au détriment de la santé »

Nous verrons si, lors des débats, la préoccupation de santé publique du Gouvernement pour le tabac et les sodas se transpose à l’alcool, à l’origine de 41 000 décès par an et d’un coût social annuel de 120 milliards d’euros.

D’ores et déjà, Addictions France alerte les parlementaires sur la nécessité de déplafonner les taxes qui s’appliquent aux boissons alcooliques pour éviter une baisse relative de leurs prix. Une attitude différente pour le tabac, le sucre et l’alcool n’aurait aucune cohérence, aucune justification, et ne traduirait que l’influence d’un lobby de l’alcool préoccupé uniquement par son chiffre d’affaires au détriment de la santé.

 

 

Bernard Basset

Médecin spécialiste en santé publique

Président d’Addictions France

 


1 : Voir Article L313-19 du Code des impositions sur les biens et services et L245-7 et suivantes du Code de la Sécurité sociale portant sur les droits d’accise et la cotisation sécurité sociale.

Pour aller plus loin :

Consulter notre dossier de plaidoyer interactif, partie alcool

Note de blog : « Pour ce nouveau quinquennat, des politiques ambitieuses et transversales sur les addictions »