La publication par l’OMS d’une brochure sur l’alcool à l’intention des journalistes1 a déchainé l’ire de Krystel Lepresle, la déléguée générale de Vin & Société, dans une tribune publiée sur le site en ligne, Vitisphère2. Mais pourquoi une telle publication déclenche-t-elle la fureur de Krystel Lepresle ? 

On peut y trouver plusieurs explications, mais la plus évidente est que l’OMS vulgarise, au sens noble du terme, l’ensemble des connaissances scientifiques sur l’alcool et la santé, que cela concerne les dommages sanitaires ou sociaux (violences, maltraitances, incivilités…). La publication en elle-même n’apporte pas d’éléments nouveaux pour tous ceux qui s’intéressent au sujet, mais elle présente l’état de la science sous une forme accessible et facilement compréhensible. Elle examine aussi les moyens efficaces ou non pour réduire le fardeau de l’alcool. 

Krystel Lepresle conteste le consensus scientifique international, désormais solidement établi, selon lequel toute consommation d’alcool comporte un risque pour sa santé. Elle en veut pour preuve qu’il existe des études sur les bienfaits d’une « consommation modérée ». Krystel Lepresle oublie de signaler que ces études, effectuées souvent sous l’influence du lobby de l’alcool, sont considérées comme biaisées et non avenues. En France aussi, l’INSERM l’affirme clairement : « Les études récentes montrent que toute consommation d’alcool est nuisible pour la santé et qu’il n’y a pas d’effet protecteur contrairement à ce qui a été́ mis en avant pendant longtemps »3.  

Afin d’instiller le doute, une stratégie classique des lobbies, Krystel Lepresle soutient au contraire que de nombreuses études concluant en faveur d’effets bénéfiques de l’alcool n’ont pas été financées par le secteur économique. Si l’absence de lien d’intérêts est louable, ce n’est pas pour autant une garantie de la qualité ni une preuve de la validité des résultats. 

En fait, la véritable raison de la colère de la déléguée générale de Vin & Société réside dans un paragraphe qui, ô sacrilège, évoque explicitement le vin rouge : « Il n’y a aucune preuve en faveur du mythe omniprésent que la consommation de vin rouge aide à prévenir les crises cardiaques. Boire même une petite quantité de vin rouge – tout comme la bière, les spiritueux ou toute autre produit contenant de l’alcool – augmente le risque de maladies cardiovasculaires, ainsi que de plus de 200 autres maladies ».

Si Krystel Lepresle se révèle une adepte de la « vérité alternative », une attitude malheureusement fréquente et délétère, il est peu probable que sa croisade contre l’OMS puisse lui être profitable. Bien au contraire, elle perd toute crédibilité à camper dans le champ des fake news et du complotisme (l’OMS serait instrumentalisée par les « hygiénistes » car « les auteurs représentent la fine fleur de la nébuleuse hygiéniste internationale […] un lobby anti-alcool infiltré à tous niveaux…»). 

Le désespoir de Vin & Société ne peut que s’aggraver à la lecture des enseignements que l’OMS tire de la science, même s’ils sont depuis longtemps des évidences pour les acteurs de santé : la consommation même « modérée » est à risque, les consommateurs excessifs ne sont pas les seuls à subir des conséquences dommageables et la « consommation responsable » n’est qu’un slogan et un euphémisme pour dédouaner le lobby de ses responsabilités. Or avoir accès à l’information la plus juste est un droit pour les consommateurs, charge à eux ensuite d’évaluer les risques et de faire leur propre choix.  

Les mesures proposées par l’OMS pour améliorer la santé collective et individuelle face au fardeau de l’alcool ne trouvent pas davantage de compréhension de sa part : augmentation des prix, restriction d’accès et interdiction de la publicité (« no advertising« ) sont les leviers de prévention les plus efficaces, quand bien même leur mise en place va à l’encontre des intérêts économiques du secteur. 

Krystel Lepresle peut éventuellement se consoler car elle a reçu le soutien d’Hubert Sacy sur le réseau social LinkedIn : 

Hubert Sacy est le promoteur d’Educ’Alcool, un programme canadien soutenu par les alcooliers et qui repose sur la promotion de la « modération ». Addictions France a dénoncé de longue date ce mirage qui arrange bien le secteur économique mais qui n’a jamais montré la moindre preuve d’efficacité4. Aujourd’hui, les masques tombent et Hubert Sacy dévoile son allégeance au lobby de l’alcool et son allergie aux sincères défenseurs de la santé. 

Si Krystel Lepresle a réussi à nous convaincre d’une chose avec sa tribune, c’est que la prévention en santé doit absolument être indépendante du lobby alcoolier (et de Vin & Société en France). 

 

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1. Reporting about alcohol: a guide for journalists (who.int)

2. Quand l’OMS apprend aux journalistes à penser l’alcool ! (vitisphere.com)

3. Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool ⋅ Inserm, La science pour la santé

 

Bernard Basset
Médecin spécialiste en santé publique
Président d’Addictions France