Le 10 juillet 2025 

En cette année 2025, marquée de tous les soubresauts possibles, il demeure quelques constantes. Et parmi elles, un sujet qui prend de plus en plus d’importance et qu’on pourrait qualifier comme les anglo-saxons « d’éléphant dans la pièce », tellement il est envahissant alors que la classe politique détourne le regard : l’alcool.

Pendant longtemps seuls, et tels des voix dans le désert, les acteurs de la santé publique et de l’addictologie ont inlassablement informé sur les conséquences toujours dommageables de la consommation d’alcool, avec sa litanie de morts 49 000 par an, de survenues de cancers (28 000 par an), de violences, d’agressions sexuelles ou d’accidents sur la route. Aussi effrayants soient-ils, les chiffres ont longtemps laissé relativement indifférent, tellement la culture de l’alcool imprégnait et rythmait toute notre vie sociale. Cependant, peu à peu, la prise de conscience des dommages s’est affirmée. On en prendra pour preuve le succès aussi spectaculaire qu’inattendu du Défi de Janvier, pendant lequel, tous les mois de janvier depuis 2020, plusieurs millions de Français font une pause dans leur consommation d’alcool et en éprouvent les bienfaits. Un sondage en 20241 révélait que 84% de la population adulte considérait que l’alcool était une drogue, c’est-à-dire un produit psychoactif qui peut conduire à la dépendance.

Par ailleurs, le « deux poids/deux mesures » sur les politiques publiques respectives envers le tabac et l’alcool est de moins en moins accepté socialement2 . La raison de cette inertie tient essentiellement à l’activisme du lobby alcoolier pour protéger ses profits et la complaisance de la majorité de la classe politique à son égard à rebours de l’évolution de l’opinion. On a même vu le député Kasparian brandir la création des bars dans les campagnes comme seul remède à la désertification des territoires ruraux.

Mais les acteurs de santé publique viennent de recevoir des renforts aussi solides qu’imprévus : les experts sollicités par François Bayrou pour redresser les comptes de l’Assurance maladie. En effet les trois hauts conseils3 mandatés en mars par le Premier ministre pour réfléchir à un « redressement durable de la Sécurité sociale » estiment que les plans d’économies de l’Assurance maladie « ne suffiront pas », et qu’il faudra probablement envisager des recettes supplémentaires pour le financer.

Parmi les recettes supplémentaires, le rapport évoque la fiscalité comportementale, en particulier en ce qui concerne les taxes sur les alcools. Ils proposent des mesures structurelles

dont l’efficacité est démontrée pour améliorer la santé, et à ce titre défendues par Addictions France, mais aussi pour redresser les comptes de la Sécu :

  • « augmenter la fiscalité comportementale sur les alcools, a minima pour rétablir le poids antérieur dans le prix moyen en suivant l’inflation, et de manière plus volontariste pour modifier les comportements ;
  • harmoniser la fiscalité sur les alcools en relevant celles sur les vins et les bières ;
  • poursuivre, en associant les producteurs, la réflexion sur l’instauration éventuelle d’un prix minimum par unité d’alcool, afin notamment d’éviter que les augmentations de marge soient captées par les distributeurs ».

La semaine passée, le directeur général de la CNAM4 déplorait également dans ses orientations pour 2026 l’absence d’harmonisation fiscale sur les taxes. Il incitait à mieux faire respecter la loi Evin, y compris en contentieux, et par des actions de testing, comme celles conduites par Addictions France.

L’alcool est donc devenu incontournable, mais pas de la manière dont le rêve le lobby alcoolier qui nous incite à en consommer ad libitum. Il est devenu incontournable parce que l’opinion évolue, parce que ses conséquences dommageables et ses coûts pour les finances publiques sont mieux connues et moins acceptées socialement, parce que la voix des acteurs de la santé publique est davantage prise en compte et maintenant parce qu’une politique rationnelle permettrait de remédier au déficit des comptes de la nation.

L’évidence s’impose dans les esprits et dans les rapports les plus incontestables économiques et scientifiques. La classe politique ne peut plus éviter le débat, les ministres de la Santé qui ne prononcent même pas le mot « Alcool » appartiennent à un passé révolu, et désormais les conséquences pour les finances publiques de leur inaction nuisent à la solidarité nationale autant qu’à la santé tout court. Pour paraphraser un grand ancien, pour l’alcool, « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », et la santé publique et les comptes publics seront sauvés.

 

 

Bernard Basset, Président d’honneur

 

 

 


1 Sondage Harris Interactive pour Addict’Aides publié le 10 décembre 2024
2 Lutte contre le tabac et l’alcool : un incompréhensible « deux poids, deux mesures, Nathalie Brafman, Le Monde du 1er Juillet 2025
3 Pour un redressement durable de la Sécurité Social, rapport du HCFiPS (haut conseil du financement de la protection sociale), du HCAAM (Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie) et du HCFEA (Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge), publié le 3 juillet 2025
4 Pour un redressement durable de la sécurité sociale, Juin 2025