De manière totalement inattendue, il faut bien le reconnaitre, la Commission européenne a intégré des mesures particulièrement intéressantes envers le risque alcool dans son plan cancer. C’est l’une des premières fois que la Commission européenne surmonte le blocage traditionnel du lobby alcoolier, particulièrement présent à Bruxelles, et tire les conséquences du caractère cancérigène de toutes les boissons alcoolisées.

Il est possible que l’épidémie de Covid-19 ait joué un rôle en soulignant, dans des circonstances particulièrement dramatiques, que la Santé n’était pas, malheureusement, une compétence communautaire. Cette situation, dont chacun a pu constater les conséquences dommageables face à l’épidémie, a pu susciter un élan pour que la santé ne soit pas traitée comme un sujet subsidiaire, cantonné aux seuls espaces laissés par des politiques économiques.

La Commission européenne a donc publié le 3 février son plan cancer qui intègre pour la 1ère fois la question alcool avec plusieurs engagements dont il faut souligner la pertinence et la force. Ce plan contraste avec la tiédeur française au moment du 30ème anniversaire de la Loi Evin, considérée comme un modèle par de nombreux pays européens. La Commission européenne se donne des objectifs concernant des leviers majeurs, dont les connaissances scientifiques attestent de leur efficacité, à savoir une action sur le prix des produits, un encadrement de la publicité et une information adaptée et large de la population. Elle prévoit ainsi :

  • Un réexamen de la législation de l’UE relative à la taxation de l’alcool suivant en cela toutes les recommandations des experts de santé publique qui soulignent le lien entre le prix des boissons alcoolisées et leur niveau de consommation.
  • Un nouvel encadrement des achats transfrontières d’alcool afin de réduire la concurrence entre pays sur un produit à risque pour la santé
  • Un réexamen de la politique en matière de promotion des boissons alcoolisées. Cet objectif est particulièrement important dans la mesure où, aujourd’hui, l’Union européenne finance la promotion du vin à travers la Politique Agricole Commune (PAC) 
  • Afin de réduire l’exposition des jeunes à la commercialisation de l’alcool, la Commission suivra de près la mise en œuvre des dispositions de la directive « Services de médias audiovisuels » sur les communications commerciales relatives aux boissons alcoolisées, y compris sur les plateformes de partage de vidéos en ligne. Là encore, il s’agit d’un encadrement de la publicité à destination des jeunes que le secteur économique utilise avec un seul but : faire entrer les jeunes dans la consommation via leurs médias de prédilection. Rappelons que la loi Evin proscrivait la publicité sur ces médias en France jusqu’en 2009.

La Commission proposera également au Parlement européen :

  • Un affichage obligatoire des ingrédients et des informations nutritionnelles sur toutes les boissons alcoolisées d’ici la fin 2022
  • Des avertissements sanitaires sur les étiquettes des contenants d’ici la fin 2023, ce qui pourrait permettre d’en finir avec les incitations déguisées à consommer sous prétexte de « modération ».

On peut évidemment s’attendre à des cris d’orfraie du lobby alcoolier, qui tentera de limiter au possible la volonté de la Commission de lutter efficacement contre le risque alcool pour la santé. La Commission en est évidemment consciente car elle précise qu’elle veut continuer de « garantir qu’elle continue à assurer un équilibre entre les objectifs en matière de recettes publiques et ceux qui visent la protection de la santé« . Le lobby alcoolier contre la santé est toujours bien présent, mais il est maintenant désigné comme tel.

Malgré les précautions de langage bruxellois, il n’en demeure pas moins qu’un pas symbolique a été franchi : la Commission européenne reconnait désormais que les boissons alcooliques sont des produits cancérigènes. Depuis des décennies, les acteurs de santé publique réunis au sein d’Eurocare, dont Addictions France (ex ANPAA) est membre fondateur, ont plaidé avec constance pour que l’alcool ne soit pas considéré comme un produit de consommation courante et sans danger. Nous voyons une reconnaissance de nos efforts au moment où la France, pionnière en la matière, est soumise aux tirs de barrage d’un lobby alcoolier qui pousse son avantage du fait de sa proximité avec le président de la République.

Les temps changent. La prise de conscience des conséquences de la consommation d’alcool est de plus en plus partagée dans l’opinion. Les recommandations de Bruxelles n’en sont que la traduction. Il serait temps que la France se mette au diapason de l’évolution européenne, et fasse passer la santé publique avant les seuls intérêts économiques. La Commission européenne lui en fournit l’opportunité.

Bernard Basset, président d’Addictions France